Au 34, Marcel vit seul.
Il est presque vingt heures, le
journal va bientôt commencer mais, en attendant, Marcel n’a rien à faire. Comme
tous les soirs, il est assis sur le fauteuil en vieux velours ; comme tous
les soirs, son eau pétillante est posée sur le plateau de verre de la table
basse, là, juste à portée de main ; et comme tous les soirs, il se dit que
c’est bien pratique.
Le jour baisse tout doucement, l’heure
du coucher est encore loin. Sur l’écran face à lui, toujours pas de journal,
Marcel s’ennuie à mourir, mais préférerait crever que de le reconnaître. Alors,
pour s’occuper, comme chaque soir en attendant vingt heures, il attrape son
vieux bout de cordage et fait des nœuds marins aux deux extrémités. Puis il défait
le tout et fait un seul long coulant. Depuis que Marina est partie, tous les
soirs, Marcel s’entraîne.
Puis, le journal commence. Enfin.
Marcel se frotte le cou, et
caresse longuement la corde en prenant des nouvelles du monde.
Au 35 vit Marina. Marina ne vit
pas seule. Quand elle est partie, elle a emmené Rosa avec elle. Elle ne le
regrette pas. Bien sûr, la petite est bruyante, mais elle est pleine de jeux,
et puis elle chante tout le temps ; ça la berce.
Ce soir pourtant, Rosa agace sa mère.
« Maman, c’est quoi ? ».
Rosa tient un morceau de corde dans sa main.
« Laisse, c’est sale. ».
Marina arrache la corde des mains de sa fille, elle est nerveuse et ne sait pas
pourquoi.
Bien sûr, il pleut, mais ce n’est
pas ça.
Rosa est électrique, joue aux
sioux, marche à reculons, se cogne aux meubles, mais ce n’est pas ça.
Ce matin, la voiture n’a pas démarré,
elle a cassé un verre et il n’y avait plus de café, mais ce n’est pas ça.
Marina est de plus en plus tendue,
elle tourne et vire dans la petite maison.
Rosa crie : « maman, il
est quelle heure ? ». Elle ne répond rien, s’arrête. Elle vient de se
souvenir.
Il était vingt heures ce soir-là,
elle avait descendu tous leurs bagages dans l’entrée, Rosa avait déjà mis son
manteau, elle ne pleurait pas. Marcel ne disait rien, il était assis sur son
vieux fauteuil en velours et les regardait. Puis, il s’est levé. Sur l’étagère,
il a pris un vieux cordage qu’il gardait en souvenir du temps de la mer, il a
sorti son couteau de sa poche et a tranché le cordage en deux. Il a donné la
moitié à Marina et est allé se rasseoir devant son eau pétillante et sa télé,
comme tous les soirs.
« Maman, il est quelle heure ? »
« Il est vingt heures Rosa »
Marina allume le poste.
Blandine Prot