lundi 21 janvier 2013

Faire chanter le corps


Elle avait encore aujourd'hui l'élégance de la femme que je rêvais d'embrasser. Elle était toute échevelée de nos mouvements de fous qui dévalent la pente, s'époustouflant et courant à en perdre haleine.

Nous nous étions élancés depuis la ferme d'en haut, sur le chemin qui traverse la truffière, amoureux, fous heureux, des grimaces plein nos proches pour rire, se surprendre, se cacher derrière un arbres ou un buisson. Et au bas du chemin, se retrouver fatigués, époustouflés, estomaqués de nos échanges d'adolescents émancipés.

Je sais que mon cœur ne s'est pas emballé que de sa course, mais aussi à la vue de ses épaules de dentelle et de l'échancrure de son corsage ; j'ai dû manquer d'oxygène et je suis resté haletant comme à la fin d'une performance, ou plutôt comme au début d'une jouissance.
Stoppés en bas de l'allée des chênes truffiers, au bord du ruisseau,  je suis resté longtemps, ébouriffé. Mon corps, longtemps agité d'être si près de sa silhouette gracieuse, reste encore fébrile au souvenir de cet instant.

Cette après-midi là restera à jamais gravée, comme une petite note, épinglée à mon cœur et je retrouverai cet enthousiasme chaque fois que je pourrai l'enlacer.
Patricia
Atelier du 10 janvier 2013
d'après la sonate en Si mineur de Liszt

Cycle Ecriture et musique - 2 jeudis par mois - de 19h45 à 22h - salle du Petit Louet - 49610 Juigné-sur-Loire - 10 euros l'atelier + 5 euros cotisation annuelle à Lever l'encre. Prochaines dates: 24 janvier, 7 février, 21 février 2013

Les deux pianos - d'après la sonate en Si mineur de Liszt


La pièce est appelée de vie ou séjour. A cette appellation, les deux pianos ne trouvent rien à redire, eux qui séjournent ici, depuis plusieurs années pour l’un, plusieurs mois pour l’autre. Spectateurs permanents, ils voient tout ce qui se déroule ici, entendent tout ce qui s’y passe et en gardent secrètement la trace. Ils disent la joie sous la caresse des doigts lumineux et doux,  l’effroi et la douleur sous la violence des doigts torturés. Tout à l’heure, une sonate vient de les emporter dans une tornade, leur donnant l’illusion ou l’espoir de se reposer quelques instants, de goûter une joie profonde pour  les emporter à nouveau et les mener au bord du gouffre.

Ils sont deux, à quelques mètres l’un de l’autre. Le plus ancien dont le bois, au fil des ans,  s’est patiné de pourpre, résonne encore des chants de la forêt ; les volutes qui soutiennent son clavier ont la magie d’une invitation à la danse pour chacune des quatre saisons. Le plus jeune ne manque pas de fierté et son apparente raideur est adoucie par son vernis laissant sur lui jouer la lumière tandis que les veines rouges de son bois se découvrent tels un reflet dans l’eau.

Maintenant, les doigts venus les sortir de leur torpeur s’en sont allés et tous  les deux restent  silencieux, comme abasourdis. Pourtant, une oreille extrêmement attentive aurait pu entendre gémir celui que les ans avaient rendu bancal, le voir trembler tour à tour d’épouvante puis d’espoir, et aussi murmurer. « Comme je voudrais retrouver le parfum de mon allée, sentir à nouveau l’étreinte du hibou, entendre le vent hurler et s’exercer à jouer les dodécaphonistes. Non, je ne veux pas retourner en arrière ni faire resurgir le passé mais je veux juste en retrouver l’empreinte, l’élan. Pourquoi ce froid soudain, ce gris opaque tout autour de moi ? Pourquoi ce tumulte en moi, cet effroi, ce désaccord ? Quelle est cette main de fer qui cherche à me briser, quels sont ces démons qui ont  réussi à m’entraîner dans un combat que je n’ai pas choisi et où je deviens à moi-même ennemi ? J’ai toujours détesté les guerres, j’ai toujours refusé de me mettre derrière un drapeau,  de suivre une effigie. De rien ni de personne n’ai voulu et ne veux être l’épigone. Que m’arrive-t-il ? La voix s’est tue dans la patience de l’attente, celle d’un apaisement.

Un regard attentif aurait vu délicatement s’embraser les veines du deuxième piano. Lui, il avait tout saisi du drame qui se jouait à côté de lui tant était grande son empathie. Il aurait aimé s’arrondir afin d’offrir son aide comme on propose l’appui de son épaule. Mais il savait qu’il devait lui aussi faire preuve de patience. Il savait que l’apaisement viendrait. Il restait là, discret, paisible.

Ce qui se passe entre les êtres humains garde toujours sa part de mystère. Il en est de même pour les pianos. On n’ignore pas cependant que l’amour les habite et parfois  les fait exulter. Est-ce pour cela que dans la pièce, le lendemain, eut lieu une épiphanie. Mais, faut-il croire ceux qui la racontent?

Marie-Françoise
Atelier du 10 janvier 2013
Cycle Ecriture et musique - 2 jeudis par mois - de 19h45 à 22h - salle du Petit Louet - 49610 Juigné-sur-Loire - 10 euros l'atelier + 5 euros cotisation annuelle à Lever l'encre. Prochaines dates: 24 janvier, 7 février, 21 février 2013