jeudi 21 février 2013

Les Variations, une question de point de vue


« Moi, tu vois, pour moi la musique c'est pas ça ; j'aime bien quand il y a un air, quelque chose qu'on peut chanter, avec des paroles par exemple. Là, ça me fait penser à un truc d'église en un peu moins sérieux mais à peine. Et on peut même pas danser là-dessus, essaie donc, tiens ! Même une valse ça pourrait pas le faire. Alors t'imagines le tango, le rock, enfin quoi des trucs où ça bouge, où ça danse !! Et puis c'est le genre qui se joue dans les théâtres où t'as pas le droit de bouger, pas le droit de parler, où faut être bien habillé et s'ennuyer toute une soirée. Tiens, écoute, là c'est reparti pour la tristesse. On croit que ça va décoller et puis non, ça ralentit, ça s'reprend au sérieux. Non, j't'assure.....et ma gamine qui s'est entichée de c'truc, ça m'énerve, mais ça m'énerve. J'dis rien parce que sa mère veut qu'elle fasse du piano, paraît que ça fait bien le piano pour une fille mais moi, j'en peux plus. Allez viens au bistrot, j'te paye un canon avant que je casse tout. »
Michèle (dans le point de vue du père)


T’as entendu cette musique !
Quand le moteur de ta bagnole jouera cet aria comme y parait,
il faudra que tu penses à venir me voir…
Sans aucun doute, t’auras pété une durit.
Remarque, avec cette cadence, tu ne risques pas de te faire prendre au radar.
Tu la rouleras pépère, ta voiture !
Vive l’éco-conduite !


Annie (dans le point de vue du garagiste) 

Au Secours!
Je peux vous dire que j’en ai assez, et je vais vous expliquer pourquoi! Chaque matin, en se réveillant, ma maîtresse met la même musique qu’elle a ‘découvert’ comme une nouvelle religion (Je dois ajouter que je n’ai rien contre la religion – catholique, protestant, hindu, juif, baptiste etc. La tolérance, c’est moi!). Mais quand mes bols restent vide pendant qu’elle fait son petit déj en dansant entre la cafétière et le toaster…vous voyez le problème?! Et ce n’est pas seulement elle qui m’agace, mais ce bruit qui saute, se cache et me taquine comme une souris qui à l’instant sort et disparaît. En parlant de souris,  je peux vous jurer que je n’en ai vu aucune depuis qu’elle a attrapé ce microbe.
Enfin elle part au travail. Mais en rentrant la même comédie recommence.
Quelle sont mes options? J’ai essayé de pleurer mais elle croyait que je chantais avec elle! Quitter la maison? Facile, mais au fond je l’aime bien. Griffer le disque (mes griffes sont hors pair)? Pas pratique; il y a toujours l’ordinateur, l’ipad, l’ipod etc. Se suicider? J’aime trop les têtes de marqueraux…
Aidez-moi je vous en prie!
Anne (dans le point de vue du chat)


Variations Obsessions

Il est des noms obsédants comme des notes. Il viennent, tournent et s'incrustent. Impossible de s'en débarrasser. A la manière de Gould plié sur son piano et jouant les Variations Goldberg, nous nous sommes astreints à jouer avec quelques mots, tirés au hasard... neige, sable, piolet, angora, de quoi devenir marteau!
IM

Piolet




Dans la cabane au fond du jardin, mon piolet m’y attend.
Lorsqu’il rentre au contact de la glace, mon piolet laisse entendre une mélodie au rythme de ma progression. La fluidité du son de mon piolet m’indique si la paroi me donne ou non du fil à retordre. Quand je me sens à l’aise, accroché à mon piolet, je me permets de regarder en contrebas le petit pont surplombant la rivière.
Arrivé en haut du glacier, assis à côté de mon piolet, quel bonheur d’admirer le soleil de minuit.
Annie

Sable


Je lutte contre le sable, le sable arrivant avec le vent qui enrobe les rochers du désert. Je lui tourne le dos et m’habille en burnous. Loin de moi, à Londres, ce sable du Sahara recouvre les voitures avec un fin manteau rougeâtre.
Je lutte contre le marchand de sable le soir qui laisse les traces de sable pour m’irriter le matin.
Il me taquine, ce sable, comme les Variations de Goldberg me taquinent. Mais en fermant les yeux dans le noir de la salle de concert, je ne lutte plus. Chaque grain de sable des notes me fait frissonner; je reste immobile, sablée.
Anne

Angora


C'est bien souvent, disons plusieurs fois par jour que je cherche cet angora.
Il est peut-être sur un glacier l'angora, ou sur une chaise, assis sur un coussin en satin.           
C'est très rare de le trouver caché à l'ombre de l'arbre mon angora.
Plus souvent à l'abri sous le foin ou dans un massif l'angora.
C'est un jeu entre nous qui me met en joie et quelque fois en colère cet angora.
Cet angora là me fascine, je ne vois plus que lui.
Bon débarras quand cet angora-là sera au débarras.
René

Neige


Il neige. Depuis qu'elle est à Montréal elle l'attend, la neige. Tout ce blanc, enfin ! La neige elle en a rêvé, ça la fait rire la neige. Seule, elle joue avec, elle la joue au piano, la neige, la neige dans son éternité, sa pureté, la neige qui l'attend.
Est-ce la neige de ses cheveux qui lui inspire ces calmes pensées ? C'est vrai, elle préférerait le retour à la neige au retour à la terre, à la poussière : « tu es neige et tu retourneras à la neige », impalpable bonne femme de neige qui fond au soleil. Un souvenir de neige c'est un souvenir à la fois froid et doux qui s'efface sans douleur, proprement – la neige, néant blanc.
Michèle

Marteau


Il est parti de l’autre côté du monde, son marteau dans la poche. Dans une obscurité piquante tout s’assombrit encore et encore.
Il EST marteau, complètement.
Le ciel est noir, noir foncé, aucune clarté ne traverse le rideau de pluie qui l’accompagne maintenant depuis le début de son voyage. Son marteau ? Un talisman apaisant dans cette solitude intérieure qui l’habite depuis si longtemps déjà. L’introspection le happe chaque jour un peu plus, il sombre. Aucun répit, seul son marteau frappe encore et encore. Pour le protéger. Un coup, deux coups, mille coups, où est la différence ?
Le marteau son unique ami se fait lisse au contact de sa main calleuse dans une poche devenue si collante d’humidité. Même le métal s’est réchauffé, se fond avec le bois.
Ce marteau, Mart comme il l’appelle, semble devenir le seul élément vivant dans ce paysage étrange.
Mart, essentiel pour son apparente sérénité.

Christine
Le 10 février 2013