mercredi 14 mars 2012

Simone


La villa de Sion avait été construite dans les années 60 à proximité de la plage. On n’y accédait pas directement par la route centrale, il fallait s’aventurer un peu dans les allées pavillonnaires avant d’y parvenir.
Large et cossue, elle témoignait encore des heures joyeuses qui s’étaient écoulées ici. Quelques ardoises de la toiture  claquaient au vent, l’enduit crémeux s’effritait un peu plus chaque jour, le bleu des persiennes n’était plus si bleu mais les lettres arrondies et élancées du mot Sunset accrochées à la façade rappelaient à ceux qui voulaient bien s’y arrêter qu’elle en avait vu des soleils se lever et se coucher cette maison-là. Depuis plus de deux ans maintenant, elle restait fermée.
Les hautes herbes engloutissaient le jardin, les pissenlits et les broussailles recouvraient presque en totalité la terrasse, les arbres fruitiers pliaient sous le poids des figues, des prunes et des pêches qui n’étaient plus cueillies.
On aurait pu penser que la villa était à vendre mais aucune pancarte ne l’indiquait.
Elle avait été abandonnée un été. Un été où il avait fait particulièrement chaud, si chaud que chacun se claquemurait chez lui pour y faire le noir complet.
Simone y avait passé son dernier été, celui de ses 83 ans, celui de sa vieillesse désormais affichée aux yeux de tous. Cette villa était celle de ses enfants. Elle en avait les clés. Ses enfants qu’elle ne voyait plus.
Une villa au bord de la mer, c’était bien pour y mourir. Confortable et spacieux. Propice à la mise en scène.
Et puis, cela leur ferait une drôle de surprise à ses enfants quand ils ouvriraient la porte de sentir l’odeur de sa mort et de découvrir comme elle avait tout bien préparé.
Pascale Gatineau

il


Il habite la mer, la mer en tempête, la mer en bataille. Il vocifère souvent, plus fort que l’océan à qui il tient tête. On le voit rarement sortir de sa forteresse et lorsqu’on le voit, ou tout au moins, lorsqu’on l’aperçoit, tout au loin là-bas, donnant un signe de vie, alors on a peur.
Lorsque ses volets verts s’entrouvrent, la terre se dérobe sous les pieds de tout Saint-Hilaire, de Sion et même des Sables.

Dans sa tête, le chaos.

On sait qu’il ne vit pas seul, qu’il a une femme. Une femme-souterrain. On le sait.
Un jour, il a perdu la guerre, la vraie, celle des armes. Dans un pays lointain où il fait trop chaud.
Il a vu des choses qu’il n’aurait pas dû voir. Des choses … qu’il dit.
Il ne dit rien de plus… des choses…
Certains soirs de lune, une petite larme sur sa langue. Ces nuits-là, des mots douceurs s’échappent, des mots jolis pleurs.
Le lendemain il dira que non.

Non il n’a pas parlé, non il n’a pas soupiré, non il n’a pas vacillé. Non, non et non. Alors, si on insiste, si elle insiste, alors les mots colères reviennent. Couperets. Les tours de garde aussi, autour de la villa-caserne. Volets fermés, brise-vent camouflage, murs pris dans la bâche vert kaki comme là-bas. Au sol, une tranchée, peu profonde, comblée de tessons de bouteilles.

En 62, lorsqu’ il a quitté le pays, il a choisi la mer. Ici. A cause des parents. Depuis, les parents sont morts. Morts et enterrés. A deux pas d’ici. Des morts en plus, des morts encore. Il avait aussi pensé, que le mimosa aurait floconné sa vie, jaune soleil, jaune poussin. C’est pour cela qu’il a choisi cette villa. Mais le mimosa est mort, lui aussi. Gelé. Elle était tombée en admiration, en amour, la première fois qu’il le lui avait montré, en lui donnant sa place dans son chez lui.

Mon poussin, c’est ainsi qu’il l’avait appelé aussitôt. A cause du jaune, de sa douceur et du léger duvet qui recouvrait ses bras. Depuis que le mimosa a gelé, a été coupé, tronçonné, débité ; elle, n’arrive plus à se réchauffer. Même au creux de la cheminée, elle a froid. Elle n’a plus ces mots. Est-ce qu’elle savait ? Est-ce qu’elle savait, sa vie d’avant, à lui, son mari? Elle pensait que oui. Mais savait-elle vraiment ? Bien sûr disait-elle, il m’a raconté et j’ai lu tous les livres, écouter toutes les émissions, vu tous les films. Mais au fil du temps, elle avait vu, qu’elle ne savait pas vraiment. Qu’elle ne savait pas. Qu’elle ne savait rien du tout.
Elle recevait de temps à autres. Ça arrivait par paquets, comme l’écume des tempêtes ou ça se découvrait ainsi, tranquillement, au gré des marées, le long des années.

Elle était venue ici pour lui, lui et les coquillages, leurs gris nacrés, leurs roses perlées. Pour ses étendues sans fin de sable mouillé et luisant quand la mer se retirait. Là-bas y avait pas, lui avait-il dit.

Et puis elle s’est trouvée enfermée dans sa vie à lui, sa vie-barbelé.
Elle aurait souhaité juste qu’il lui dise : «  J’ai besoin de toi et de rien d’autre. » mais il n’avait plus cette voix.
Cet homme-là habite la dernière villa, juste avant le trou du diable et elle aussi, y habite, inséparable.  
Clodine Bonnet