Il habite la mer, la mer en tempête, la mer en bataille. Il vocifère souvent, plus fort que l’océan à qui il tient tête. On le voit rarement sortir de sa forteresse et
lorsqu’on le voit, ou tout au moins, lorsqu’on l’aperçoit, tout au loin là-bas,
donnant un signe de vie, alors on a peur.
Lorsque ses volets verts s’entrouvrent, la terre se dérobe sous les
pieds de tout Saint-Hilaire, de Sion et même des Sables.
Dans sa tête, le chaos.
On sait qu’il ne vit pas seul, qu’il a une femme. Une femme-souterrain.
On le sait.
Un jour, il a perdu la guerre, la vraie, celle des armes. Dans un pays
lointain où il fait trop chaud.
Il a vu des choses qu’il n’aurait pas dû voir. Des choses … qu’il dit.
Il ne dit rien de plus… des choses…
Certains soirs de lune, une petite larme sur sa langue. Ces nuits-là,
des mots douceurs s’échappent, des mots jolis pleurs.
Le lendemain il dira que non.
Non il n’a pas parlé, non il n’a pas soupiré, non il n’a pas vacillé.
Non, non et non. Alors, si on insiste, si elle insiste, alors les mots colères
reviennent. Couperets. Les tours de garde aussi, autour de la villa-caserne.
Volets fermés, brise-vent camouflage, murs pris dans la bâche vert kaki comme là-bas.
Au sol, une tranchée, peu profonde, comblée de tessons de bouteilles.
En 62, lorsqu’ il a quitté le pays, il a choisi la mer. Ici. A cause des
parents. Depuis, les parents sont morts. Morts et enterrés. A deux pas d’ici.
Des morts en plus, des morts encore. Il avait aussi pensé, que le mimosa aurait
floconné sa vie, jaune soleil, jaune poussin. C’est pour cela qu’il a choisi
cette villa. Mais le mimosa est mort, lui aussi. Gelé. Elle était tombée en
admiration, en amour, la première fois qu’il le lui avait montré, en lui
donnant sa place dans son chez lui.
Mon poussin, c’est ainsi qu’il l’avait appelé aussitôt. A cause du jaune,
de sa douceur et du léger duvet qui recouvrait ses bras. Depuis que le mimosa a gelé, a été coupé, tronçonné, débité ; elle,
n’arrive plus à se réchauffer. Même au creux de la cheminée, elle a froid. Elle
n’a plus ces mots. Est-ce qu’elle savait ? Est-ce qu’elle savait, sa vie d’avant, à
lui, son mari? Elle pensait que oui. Mais savait-elle vraiment ?
Bien sûr disait-elle, il m’a raconté et j’ai lu tous les livres, écouter toutes
les émissions, vu tous les films. Mais au fil du temps, elle avait vu, qu’elle ne savait pas vraiment. Qu’elle ne savait pas. Qu’elle
ne savait rien du tout.
Elle recevait de temps à autres. Ça arrivait par paquets, comme l’écume
des tempêtes ou ça se découvrait ainsi, tranquillement, au gré des marées, le
long des années.
Elle était venue ici pour lui, lui et les coquillages, leurs gris nacrés,
leurs roses perlées. Pour ses étendues sans fin de sable mouillé et luisant
quand la mer se retirait. Là-bas y avait pas, lui avait-il dit.
Et puis elle s’est trouvée enfermée dans sa vie à lui, sa vie-barbelé.
Elle aurait souhaité juste qu’il lui dise : « J’ai besoin de
toi et de rien d’autre. » mais il n’avait plus cette voix.
Cet homme-là habite la dernière
villa, juste avant le trou du diable et elle aussi, y habite, inséparable.
Clodine Bonnet
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