dimanche 10 juin 2012

Ecritures autobiographiques à partir d'une photo

Pour cette 3ème rencontre autour des écritures autobiographiques (cycle "Je est un autre"), j'ai proposé au groupe d'écrire à partir d'une photographie tirée de leur album de famille. La consigne était simple: faites votre autoportrait et le portrait de ceux qui vous entourent. Tous les participants à l'atelier se sont prêtés au jeu. Anne nous livre ici son texte et sa photo. Savoureux comme un pique-nique d'été et subtil comme un souvenir.
I.M.

Un Pique-nique en Eté


Prise vers 1950, la photo est en noir et blanc. C’est peut-être une copie; le coin droit en haut montre que l’original a été déchiré.
Elle montre un pique-nique dans un paysage typiquement anglais de petits champs, haies épaisses, arbres – on devine du sureau à gauche – et derrière la petite famille un tas de foin comme on en faisait autrefois. On sent le poids d’une journée estivale lourde.
Les quatre personnes sur un tapis froissé avec une frange sont assises près les unes des autres. On pourrait imaginer une sculpture sauf pour leurs regards vifs.  La ligne du bras de l’homme suit celle de la jeune femme allongée devant lui. La main de la femme encercle la taille de la petite enfant.
Le père, trop chaud, fait un effort pour sourire. Ses yeux, comme ceux de la grande soeur, sont enigmatiques. Les boucles de l’enfant cachent la bouche de sa mère. Elle tient un objet – un oeuf dur? Son autre main repose sur la tête de la petite chienne, la seule à ne pas regarder l’appareil photo.
La petite fille aime bien cette chienne, comme elle aime les pique-niques, une fois sortie de la voiture écoeurante qui sent le cuir et le tabac de son père.  Installés, on a défait le panier: les oeufs durs avec du sel enveloppé dans du papier, sandwiches au jambon, biscuits secs et fromage, pommes, bananes, raisins. Une bière pour le père, une boisson sucrée pour les autres.
Elle sait que les petits manches de sa robe la gênent et que les tiges du champs moissoné piquent ses genoux.  Elle sait qu’elle craint l’impatience de son père et qu’elle aime la frivolité de sa mère, et leur language secret. Le familiarité du paysage, adoucit et animé par les contes de Beatrix Potter, est son monde rassurant.
Elle ne sait rien. Ni de sa soeur qui n’est pas la fille de son père, Ni des existences d’autrefois compliquées et troublées de ses parents.  Cette histoire sortira avec le fil des années et sera poussée plus loin dans le passé via l’internet.  Sa perception d’elle-même ne sera jamais stable, jamais statique.
C’est pour ça qu’aujourd’hui je la laisse tranquille dans son champs, et pourquoi le goût des pique-niques vit dans mon sang.
Anne Woodford