samedi 17 mars 2012

Lir&crire au Goût Thé en Libr'Air

Cet après-midi de fin d'hiver, au coin du feu, au fond d'une grotte, nous nous sommes réunis pour lire et écrire. Cet après-midi de fin d'hiver, au moment où le vent soufflait et la pluie tombait, nous étions huit participants dans le monde du dessous, celui des troglodytes, à explorer, à la suite de Georges Perec nos demeures intérieures comme autant d'Espèces d'espaces. Grandes, petites, ouvertes sur le ciel, faites de livres ou de parois de verre, nos grottes étaient aussi diverses que nos écritures.
Patricia Carpentier, qui nous ouvrait les portes du Goût Thé en Libr'Air, nous a aussi régalés de ses thés et madeleines. Marcel ne pouvait que s'inviter... Dès lors, quelques souvenirs de goûters, chaudes tablées et autres pépites de l'enfance sont remontées à la surface de nos pages. Enfin, pour remercier notre hôte de son chaleureux accueil, nous nous sommes joyeusement pliés à la contrainte de l'acrostiche. Vous les trouverez un peu plus bas comme autant de regards croisés sur le lieu et la journée.
Isabelle Moran
Pour plus d'infos sur le Goût Thé en Libr'Air, visitez sa page Facebook http://fr-fr.facebook.com/people/Mégapole-Montsabert/100003179109822

Acrostiches

))><

Gamin 
Octobre
Un jour de joie
Tu me dis quelque chose

Temps suspendu
Hors le temps
Evadé

En lisant, en buvant, en écrivant, en goûtant
Nul n'échappe à l'émotion du lieu

Libres, nous étions libres, nous sommes libres
Ivresse du lieu, Ivresse des livres
Beauté de tout, Beauté qui bouge
Rare, moments rares, amitié rare

Aération cérébrale
Infusion cérébrale
Rupture d'habitude
))><
Graine
Ouverte
Unisson
Troglodyte

Tendres, nous étions tendres, nous serons tendres
Haut, très haut
Etourdis, ébahis, étonnés, eh oui!

Envie de rire
Noisettes

Liberté de parole ou de silence, joie d'être
Installés au coin du feu
Buvant le breuvage de Patricia
Reine de l'endroit

A la campagne
Imaginer
Respirer le vert, la pluie...
))><
Grignoter
Ouverture des sens 
hUmidité
Tranquilité


Tu nous invites aux voyages, Patricia,
Hôtesse simple, chaleureuse et subtile,
En enchantant nos tasses de thé


Emulation subtile
Névrose graphologique


Lucioles, araignés, chauve-souris
Invités à l'heure du thé
Breuvage accroché aux souvenirs
Revisite les sourires de l'enfance


Avec l'écriture, le réconfort de la lecture
Innombrables univers doux et drôles
Retour au réel quand la porte de la grotte s'ouvre

))><

Grand moment de convivialité
Ou d'émotions fortes
Utiles échanges nourris par un subtil
T


Tire sur la ficèle
Holà, pas si fort
Et je suis sorti


En vie, en simplicité
Nés, naissance, nus


Lecture 
Imagination aux commandes
Balbutiement
Respiration


Ambiance
Ici 
Relie

jeudi 15 mars 2012

Marcel


Au 34, Marcel vit seul.
Il est presque vingt heures, le journal va bientôt commencer mais, en attendant, Marcel n’a rien à faire. Comme tous les soirs, il est assis sur le fauteuil en vieux velours ; comme tous les soirs, son eau pétillante est posée sur le plateau de verre de la table basse, là, juste à portée de main ; et comme tous les soirs, il se dit que c’est bien pratique.
Le jour baisse tout doucement, l’heure du coucher est encore loin. Sur l’écran face à lui, toujours pas de journal, Marcel s’ennuie à mourir, mais préférerait crever que de le reconnaître. Alors, pour s’occuper, comme chaque soir en attendant vingt heures, il attrape son vieux bout de cordage et fait des nœuds marins aux deux extrémités. Puis il défait le tout et fait un seul long coulant. Depuis que Marina est partie, tous les soirs, Marcel s’entraîne.
Puis, le journal commence. Enfin.
Marcel se frotte le cou, et caresse longuement la corde en prenant des nouvelles du monde.

Au 35 vit Marina. Marina ne vit pas seule. Quand elle est partie, elle a emmené Rosa avec elle. Elle ne le regrette pas. Bien sûr, la petite est bruyante, mais elle est pleine de jeux, et puis elle chante tout le temps ; ça la berce.
Ce soir pourtant, Rosa agace sa mère.
« Maman, c’est quoi ? ». Rosa tient un morceau de corde dans sa main.
« Laisse, c’est sale. ». Marina arrache la corde des mains de sa fille, elle est nerveuse et ne sait pas pourquoi.
Bien sûr, il pleut, mais ce n’est pas ça.
Rosa est électrique, joue aux sioux, marche à reculons, se cogne aux meubles, mais ce n’est pas ça.
Ce matin, la voiture n’a pas démarré, elle a cassé un verre et il n’y avait plus de café, mais ce n’est pas ça.
Marina est de plus en plus tendue, elle tourne et vire dans la petite maison.
Rosa crie : « maman, il est quelle heure ? ». Elle ne répond rien, s’arrête. Elle vient de se souvenir.
Il était vingt heures ce soir-là, elle avait descendu tous leurs bagages dans l’entrée, Rosa avait déjà mis son manteau, elle ne pleurait pas. Marcel ne disait rien, il était assis sur son vieux fauteuil en velours et les regardait. Puis, il s’est levé. Sur l’étagère, il a pris un vieux cordage qu’il gardait en souvenir du temps de la mer, il a sorti son couteau de sa poche et a tranché le cordage en deux. Il a donné la moitié à Marina et est allé se rasseoir devant son eau pétillante et sa télé, comme tous les soirs.
« Maman, il est quelle heure ? »
« Il est vingt heures Rosa »
Marina allume le poste.
Blandine Prot

Samedi 25 février 2012, Lever l'encre était à Sion sur l'Océan (Vendée) pour animer un atelier d'écriture conçu en deux parties : matinée balade pour engranger du matériau et faire naître l'inspiration;  après-midi écriture. En tête, une consigne simple : retrouver des traces de vie au coeur de l'hiver. 
Les villas, pour la plupart fermées, offraient leurs façades endormies, et les dunes, désertes, des traces de pas à demi-effacées, comme autant de pistes à suivre pour dérouler nos imaginaires.
L'après-midi, nous avons fait l'inventaire de nos trésors : photos, cordages, algues, bois flottés, cailloux roulés, coquillages... à partir desquels nous avons écrit. Simone, il, Marcel, et d'autres, encore en attente d'être postés sur le blog, sont les portraits qui sont nés de nos pérégrinations maritimes et que nous vous offrons.
Isabelle Moran

mercredi 14 mars 2012

Simone


La villa de Sion avait été construite dans les années 60 à proximité de la plage. On n’y accédait pas directement par la route centrale, il fallait s’aventurer un peu dans les allées pavillonnaires avant d’y parvenir.
Large et cossue, elle témoignait encore des heures joyeuses qui s’étaient écoulées ici. Quelques ardoises de la toiture  claquaient au vent, l’enduit crémeux s’effritait un peu plus chaque jour, le bleu des persiennes n’était plus si bleu mais les lettres arrondies et élancées du mot Sunset accrochées à la façade rappelaient à ceux qui voulaient bien s’y arrêter qu’elle en avait vu des soleils se lever et se coucher cette maison-là. Depuis plus de deux ans maintenant, elle restait fermée.
Les hautes herbes engloutissaient le jardin, les pissenlits et les broussailles recouvraient presque en totalité la terrasse, les arbres fruitiers pliaient sous le poids des figues, des prunes et des pêches qui n’étaient plus cueillies.
On aurait pu penser que la villa était à vendre mais aucune pancarte ne l’indiquait.
Elle avait été abandonnée un été. Un été où il avait fait particulièrement chaud, si chaud que chacun se claquemurait chez lui pour y faire le noir complet.
Simone y avait passé son dernier été, celui de ses 83 ans, celui de sa vieillesse désormais affichée aux yeux de tous. Cette villa était celle de ses enfants. Elle en avait les clés. Ses enfants qu’elle ne voyait plus.
Une villa au bord de la mer, c’était bien pour y mourir. Confortable et spacieux. Propice à la mise en scène.
Et puis, cela leur ferait une drôle de surprise à ses enfants quand ils ouvriraient la porte de sentir l’odeur de sa mort et de découvrir comme elle avait tout bien préparé.
Pascale Gatineau

il


Il habite la mer, la mer en tempête, la mer en bataille. Il vocifère souvent, plus fort que l’océan à qui il tient tête. On le voit rarement sortir de sa forteresse et lorsqu’on le voit, ou tout au moins, lorsqu’on l’aperçoit, tout au loin là-bas, donnant un signe de vie, alors on a peur.
Lorsque ses volets verts s’entrouvrent, la terre se dérobe sous les pieds de tout Saint-Hilaire, de Sion et même des Sables.

Dans sa tête, le chaos.

On sait qu’il ne vit pas seul, qu’il a une femme. Une femme-souterrain. On le sait.
Un jour, il a perdu la guerre, la vraie, celle des armes. Dans un pays lointain où il fait trop chaud.
Il a vu des choses qu’il n’aurait pas dû voir. Des choses … qu’il dit.
Il ne dit rien de plus… des choses…
Certains soirs de lune, une petite larme sur sa langue. Ces nuits-là, des mots douceurs s’échappent, des mots jolis pleurs.
Le lendemain il dira que non.

Non il n’a pas parlé, non il n’a pas soupiré, non il n’a pas vacillé. Non, non et non. Alors, si on insiste, si elle insiste, alors les mots colères reviennent. Couperets. Les tours de garde aussi, autour de la villa-caserne. Volets fermés, brise-vent camouflage, murs pris dans la bâche vert kaki comme là-bas. Au sol, une tranchée, peu profonde, comblée de tessons de bouteilles.

En 62, lorsqu’ il a quitté le pays, il a choisi la mer. Ici. A cause des parents. Depuis, les parents sont morts. Morts et enterrés. A deux pas d’ici. Des morts en plus, des morts encore. Il avait aussi pensé, que le mimosa aurait floconné sa vie, jaune soleil, jaune poussin. C’est pour cela qu’il a choisi cette villa. Mais le mimosa est mort, lui aussi. Gelé. Elle était tombée en admiration, en amour, la première fois qu’il le lui avait montré, en lui donnant sa place dans son chez lui.

Mon poussin, c’est ainsi qu’il l’avait appelé aussitôt. A cause du jaune, de sa douceur et du léger duvet qui recouvrait ses bras. Depuis que le mimosa a gelé, a été coupé, tronçonné, débité ; elle, n’arrive plus à se réchauffer. Même au creux de la cheminée, elle a froid. Elle n’a plus ces mots. Est-ce qu’elle savait ? Est-ce qu’elle savait, sa vie d’avant, à lui, son mari? Elle pensait que oui. Mais savait-elle vraiment ? Bien sûr disait-elle, il m’a raconté et j’ai lu tous les livres, écouter toutes les émissions, vu tous les films. Mais au fil du temps, elle avait vu, qu’elle ne savait pas vraiment. Qu’elle ne savait pas. Qu’elle ne savait rien du tout.
Elle recevait de temps à autres. Ça arrivait par paquets, comme l’écume des tempêtes ou ça se découvrait ainsi, tranquillement, au gré des marées, le long des années.

Elle était venue ici pour lui, lui et les coquillages, leurs gris nacrés, leurs roses perlées. Pour ses étendues sans fin de sable mouillé et luisant quand la mer se retirait. Là-bas y avait pas, lui avait-il dit.

Et puis elle s’est trouvée enfermée dans sa vie à lui, sa vie-barbelé.
Elle aurait souhaité juste qu’il lui dise : «  J’ai besoin de toi et de rien d’autre. » mais il n’avait plus cette voix.
Cet homme-là habite la dernière villa, juste avant le trou du diable et elle aussi, y habite, inséparable.  
Clodine Bonnet