lundi 8 juillet 2013

Après la séance de pose


Richard BERGH, Après la séance de pose, 1884 (Huile sur toile 145 x 200 cm, Malmö Konstmuseum.)

En enfilant ses bas, elle sent une fatique si lourde qu’elle ferme les yeux, laisse tomber la tête. Elle ne peut plus, plus passer des heures qui deviennent des jours, même des années, son corps vulnérable exposé aux yeux froncés des jeunes artistes.

Tout au début, une fois rhabillée, elle a fait le tour de leurs efforts sans trouver rien d’elle dans les portraits. Rien.

C’est de la musique qu’elle entend? Pas possible. Mais dans le coin ombragé de la salle elle voit le figure sombre d’un violoniste, la barbe noire. Un rayon du soleil couchant frappe son front. Les refrains, aussi tristes que sa vie, se répètent avec une mélancholie qui serre la poitrine. Brusquement elle remet ses vêtements en se demandant comment il a pu pénétrer dans l’atelier. Et qu’est-ce qu’il regarde si fixement? Le passé? Le futur?

Ses bottes à la main, elle se tourne vers la porte. Mais s’il l’a fermée à clef et qu’elle ne peut pas sortir? N’osant pas respirer, elle traverse la salle pour la dernière fois, l’air est épais chargé de l’odeur des toiles poussiéreuses. C’est decidé: elle va quitter cette demi-vie, ce pays nordique froid et sombre. Sa mère survivra sans elle. Son ami Torbin continera de se soûler avec ses copins pendant qu’elle voyagera au sud pour retrouver son pays natal, la lumière, la liberté.

La porte s’ouvre d’une simple pression. Le musicien ne la regarde même pas. Mais dans le couloir, elle hésite. Normalement elle ferme à clef, et laisse la clef en bas chez le concierge. Il faut qu’elle le lui dise.

Elle ouvre la porte à nouveau, et jette un coup d’oeil furtif à l’intérieur. Mais il n’y a personne. Que du silence.
Anne W.

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