Richard BERGH, Après la séance de pose, 1884 (Huile sur toile 145 x 200 cm, Malmö Konstmuseum.)
En enfilant
ses bas, elle sent une fatique si lourde qu’elle ferme les yeux, laisse tomber
la tête. Elle ne peut plus, plus passer des heures qui deviennent des jours,
même des années, son corps vulnérable exposé aux yeux froncés des jeunes
artistes.
Tout au
début, une fois rhabillée, elle a fait le tour de leurs efforts sans trouver
rien d’elle dans les portraits. Rien.
C’est de
la musique qu’elle entend? Pas possible. Mais dans le coin ombragé de la salle
elle voit le figure sombre d’un violoniste, la barbe noire. Un rayon du soleil
couchant frappe son front. Les refrains, aussi tristes que sa vie, se répètent
avec une mélancholie qui serre la poitrine. Brusquement elle remet ses
vêtements en se demandant comment il a pu pénétrer dans l’atelier. Et qu’est-ce
qu’il regarde si fixement? Le passé? Le futur?
Ses
bottes à la main, elle se tourne vers la porte. Mais s’il l’a fermée à clef et
qu’elle ne peut pas sortir? N’osant pas respirer, elle traverse la salle pour
la dernière fois, l’air est épais chargé de l’odeur des toiles poussiéreuses. C’est
decidé: elle va quitter cette demi-vie, ce pays nordique froid et sombre. Sa mère
survivra sans elle. Son ami Torbin continera de se soûler avec ses copins pendant
qu’elle voyagera au sud pour retrouver son pays natal, la lumière, la liberté.
La porte
s’ouvre d’une simple pression. Le musicien ne la regarde même pas. Mais dans le
couloir, elle hésite. Normalement elle ferme à clef, et laisse la clef en bas chez
le concierge. Il faut qu’elle le lui dise.
Elle ouvre la porte à nouveau, et jette un coup d’oeil furtif à l’intérieur. Mais il n’y a personne.
Que du silence.
Anne W.
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