mercredi 16 janvier 2013

La villanelle d'Anne


Solo:  Le Gui et Le Hou

A la tombée du jour, elle vient parmi nous
- les feuilles craquent sous ses pieds -
en cherchant le gui et le hou.

Son visage pâle, son sourire doux
luisent dans notre forêt sombre.
A la tombée du jour, elle vient parmi nous.

Elle parle en mots inconnus
de ses confidences aux gardiens muets,
en cherchant le gui et le hou.

Contre mon écorce, elle pose sa joue.
Sent-elle le murmure de ma sève?
A la tombée du jour, elle vient parmi nous.

Dès fois elle chante un air et nous
vibrons - des harpes éoliennnes -
(en cherchant le gui et le hou)

Son panier plein, elle rentre sous
la lune à sa vie insondable.
A la tombée du jour, elle vient parmi nous
en cherchant le gui et le hou.

Anne Woodford
Janvier 2013

Anne nous livre que 'Villanelle' vient de Vilano qui signifie 'paysan'. La villanelle est une forme de poésie pastorale dont Jean Passerat (1534-1602) est l'un des chantres:


Villanelle
I'ay perdu ma Tourterelle:
Eft-ce point celle que i'oy?
Ie veus aller aprés elle.

Tu regretes ta femelle,
Helas! außi fai-ie moy,
I'ay perdu ma Tourterelle.

Si ton Amour eft fidelle,
Außi est ferme ma foy,
Ie veus aller aprés elle.

Ta plainte fe renouuelle;
Toufiours plaindre ie me doy:
I'ay perdu ma Tourterelle.

En ne voyant plus la belle
Plus rien de beau ie ne voy:
Ie veus aller aprés elle.

Mort, que tant de fois i'appelle,
Pren ce qui fe donne à toy:
I'ay perdu ma Tourterelle,
Ie veus aller aprés elle.

Composition baroque à 4 mains

Nikolaus Harnoncourt écrivait dans son article 'Ce que dit un autographe' (p.244 in Le discours musical, Gallimard, 1984) qu'Haendel scindait son travail en deux phases bien distinctes : l'oeuvre "terminée" et l'oeuvre "achevée". La première constituait à imaginer et écrire les voix extrêmes, donc la basse en guise de fondement et une ou deux voix de dessus. Elle était pour lui l'essentiel du morceau. La seconde, les parties intermédiaires vocales et instrumentales, n'était que remplissage, exécution. La seconde phase de la création pouvait être assurée par le maître lui-même, mais bien souvent à l'époque Baroque  un 'exécutant' s'en chargeait.

Appliquons cet exercice de composition musicale au texte littéraire:
1er temps:
- la voix principale devient un personnage avec quelques traits saillants
- la basse - base de notre récit - le temps et le lieu
- entre les deux quelques indications sommaires : un personnage secondaire, un événement, une parole pouvant donner lieu à un dialogue ou un monologue intérieur. 
Le tout sur du papier à musique. Notre texte est ainsi terminé, mais non achevé.
2ème temps:
Ces informations passent dans les mains d'un 'exécutant' qui va remplir les blancs, assurer le déroulement du récit, mettre du liant et respecter les accords imaginés par le premier auteur, raccourcir ici, rallonger là. Le texte est maintenant achevé.

Anne (la première auteure) et Marie-Françoise (la seconde), se sont pliées au jeu de la composition baroque à 4 mains*. Vous pouvez lire leur texte Une lumière dans la vie d'Alexandra tout de suite après. Bonne lecture et n'hésitez pas à nous envoyer vos commentaires.

Isabelle Moran
*cycle Ecriture et musique - 2 jeudis par mois - de 19h45 à 22h - salle du Petit Louet - 49610 Juigné-sur-Loire - 10 euros l'atelier + 5 euros cotisation annuelle à Lever l'encre.

mardi 15 janvier 2013

Une lumière dans la vie d'Alexandra


Alexandra d’Escalle se leva ce matin-là avec, au cœur, une musique plus légère. Ses rêves de la nuit l’habitaient encore toute entière et le paysage désolé qui entourait sa ferme s’était transformé en une délicate saulaie ; sous la caresse du vent les feuilles des saules jouaient la plus aérienne des sonates pour piano de Mozart. Elle-même s’était fondue dans le décor, transformée en pendule marquant le tempo tel un métronome.

Et puis, petit à petit, tout lui revenait, ses trente cinq ans qu’elle avait arrosés la veille, trop peut-être, après être allée galoper avec son cheval. Non pas le sien à elle, mais le sien à lui. Lui l’enfant pas encore sorti de l’enfance et parti faire cette guerre ignoble, interminable, dévoreuse d’hommes dont, pas plus que tant d’autres, il n’était revenu. Ce cheval qu’Anthime son père lui avait donné. Son père, cet homme si secret et si taciturne qui, désespéré, alcoolisé avait quitté la ferme à la mort de son fils chéri, était parti sans se retourner, disparaissant à jamais dans la nuit.

Elle entendit du bruit dans la pièce au dessus d’elle. Il était donc lui aussi déjà réveillé avant le jour ; il n’allait sans doute pas tarder à descendre. Il prétendait s’appeler Alphonse, elle voulait bien, elle s’en moquait d’ailleurs, Alphonse ou ce qu’il voulait. Elle, ce qu’elle voulait, c’était qu’il s’en aille au plus vite et que surtout il ne lui demande plus rien, ne lui dise plus rien de ses élucubrations sur la vie d’Anthime et la laissa à son chagrin. Cet Alphonse se prétendait le fils d’Anthime, qu’il n’avait jamais vu, dont il ignorait tout et dont il venait tout juste de retrouver la trace. Il  prétendait aussi qu’il ne partirait pas tant qu’elle ne lui aurait rien dit. Et elle, elle en avait la nausée  des silences, des secrets, des mensonges. Elle était morte, intérieurement morte, depuis qu’elle s’était su incapable de répondre à cette question  qui l’obsédait : puis-je encore aimer ?

Alors elle ferma les yeux et se retrouva dans la saulaie ; elle perçut très distinctement la respiration du cheval et l’entendit lui murmurer  à l’oreille avec une infinie délicatesse ce qu’elle seule entendit. Elle ne put lui répondre car, déjà, il avait disparu. Seul le vent entendit sa réponse et la porta à l’animal. Depuis certains voient briller une étoile dans les yeux du grand alezan.

Anne et Marie-Françoise
Janvier 2013



dimanche 9 décembre 2012

La liste de Marie-Françoise


Musique et Littérature en elle

Les mots et les notes
Le souffle
Les textes mis en musique
Les notes entre les mots
La musique des mots
Sororité (des notes et des mots)
Lire en écoutant de la musique
Le texte de F. M. écrit comme une valse
La musique du vent, des drisses, le frémissement des feuilles dans les arbres.
Ecrire pour retrouver, tenter de dire les mélodies qui m’entourent, me portent, me sont un monde
La musique des mots
Les mots et les notes pour apprivoiser l’indicible.

Les mots déposés à plusieurs dans une spirale en forme de ressort


             Vagues, berceuse, rythme, lune, couleur, tableau.

Vite, marcher vers la plage, accélérer le rythme de ses pas, suivre le petit chemin sur la falaise, se laisser guider par la lune. Ne pas trembler, ne pas regarder en arrière. Penser qu’Il est là, qu’il attend peut-être. Les nuages s’amusent à défiler puis à se cacher tandis que le visage, les mains changent de couleur, s’assombrissent ou s’habillent de lumière. Arriver enfin sur un grand terre-plein ; à cet endroit où, lorsqu’il fait jour, on découvre toute la cote, à cet endroit où les yeux, avec la mer, se perdent dans l’infini. Retrouver les marches, les descendre lentement  tant elles sont sournoises. Laisser à droite la jetée, s’arrêter auprès des rochers. S’asseoir, écouter les vagues caresser la digue. S’allonger, fermer les yeux. Voir se dessiner  le phare avec la netteté d’un tableau. Ecouter  les vagues faire leur petit clapotis, doux et léger comme une berceuse. Tenter d’y accorder les battements de son cœur. LE faire tout doucement apparaître.
Marie-Françoise

Dans les hautes herbes

Il en avait assez de leurs longues tirades à eux seuls destinés. Le repas s’éternisait dans un flux ininterrompu de mots, pas même un petit silence pour y glisser sa respiration. Sans bruit l’enfant s’éclipsa, laissant ses parents et leurs amis à la morgue des uns, la  suffisance des autres. Pas un seul  adulte ne s’aperçut pas de son départ. Il courut longtemps sur le chemin qui longeait le fleuve puis s’arrêta à côté des grands arbres, tout prêt de la clairière. L’endroit lui plut et il s’y installa ôtant quelques pierres, rajoutant quelques feuilles mortes. De hautes herbes l’entouraient, l’abritaient, lui faisant une superbe cachette. A écouter le fleuve et les rouges-gorges, il s’endormit. Longtemps. C’est un son inattendu qui le réveilla. Il lui fallut plusieurs minutes pour reconnaître un bruit de voix. Attentif il perçut un murmure, un chuchotement, des chuintements, des écarts avec des plongées en abîme ou des envolées vers les cimes. Aucun mot ne lui était perceptible mais il fut certain de reconnaître la voix de ses parents. Ils s’étaient arrêtés à quelques pas de lui, ignorant qu’il était là si proche, l’ignorant une nouvelle fois. Lui, il ne voulait surtout pas qu’ils le découvrissent ; il voulait continuer à écouter cette symphonie qui se jouait là tandis que les hautes herbes lui caressaient délicatement les joues et qu’un trouble l’envahissait.
Marie-Françoise

Ecrire à la Villa 34

Nicole Dedonder a récemment animé plusieurs ateliers d'écriture à la villa 34; elle nous livre ici les textes de quelques résidents, entre nostalgie et tendresse.

A la manière de…G. Perec : « Je me souviens… »


Je me souviens de ces jours de Nouvel an autour de la choucroute préparée avec amour par ma grand-mère.
Je me souviens que je la détestais (la choucroute !), sauf les diverses viandes.
Mais cette choucroute me fascinait !
Ma grand-mère l’avait cultivée, depuis la plantation jusqu’à la table du réveillon.
Je me souviens de ses gestes amples pour découper ses choux.
Je me souviens de ses pots de grès où étaient jetées les languettes de choux.
Je me souviens de ces moments si chaleureux en famille, avec tantes et cousins, parents et grands-parents, frères et sœurs.
Je me souviens…
Il y a beaucoup d’émotion en moi en évoquant ces fêtes.
Il y a si longtemps maintenant !
Nadine,  72 ans

A la manière de G. Pérec : « Je me souviens…»


Je me souviens d’une gifle à l’école pour n’avoir pas pu faire une division.
Je me souviens des deux mètres de neige sur les routes dans le Condroz pendant la guerre.
Je me souviens des discussions inutiles au Conseil Communal.
Je me souviens d’une dispute avec un frère au sujet de choses dont je m’occupais.
Je me souviens des courses à vélo, pendant la guerre, pour se ravitailler.
Je me souviens de la première rencontre avec Lucien mon mari.
Je me souviens de la façon dont un pharmacien s’est trompé de médicament et ma petite fille de deux ans en est décédée.
Je me souviens que je détestais le pensionnat.
Je me souviens, j’avais quatre ans, de l’enfant adopté par un de mes oncles.
Lucie, 85 ans 

Souvenir d'un repas délicieux


Je me souviens de ces repas de famille où nous prenions plaisir à nous réunir. Un de mes oncles, super cuisinier, ce n’était pas son métier, nous préparait des repas de fêtes. En commençant notre repas, tout le monde parlait en même temps et puis, petit à petit, le silence s’installait, entrecoupé de
 « Oh ! Que c’est délicieux, savoureux, formidable ! »
« Mon oncle, tu es un vrai chef ! »
« Où as-tu trouvé cette recette ? »
Pendant ce temps, les heures passaient ….
Et nous nous apercevions que nous étions gais, contents, heureux.
On se quittait en se promettant de se revoir. On ne restait jamais longtemps sans se revoir. Et pour cause, chacun savait ce que nous retrouverions à table.
Ah ! La gourmandise !
Jacqueline, 82 ans